Dans le cadre de la journée d’étude 2023 de Laudem, l’association des musicien.ne.s liturgiques du Canada, j’ai donné une conférence au sujet des femmes organistes au cours de l’histoire, et particulièrement à l’époque baroque. Est-ce qu’il y en avait? Pouvaient-elles jouer, être rémunérées?
Vous trouverez ci-dessous l’introduction de cette conférence. Le texte entier est disponible sur demande : écrivez-moi un courriel en m’expliquant pourquoi le sujet vous intéresse et je vous le ferai parvenir.
Ou mieux : cette conférence peut être prononcée à nouveau, dans le cadre d’une association, d’une fédération, d’une structure ecclésiale, ou dans le cadre universitaire. N’hésitez pas à me contacter pour en discuter, le sujet est vraiment passionnant!
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Claude NADEAU : “Les femmes organistes à l’époque baroque”
conférence dans le cadre de la Journée d’études de
LAUDEM – l’Association des musicien.ne.s liturgiques du Canada
Bonjour à toutes et bonjour à tous, Hi everybody, Kwe kwe !
Je voulais tout d’abord vous dire la joie que j’éprouve aujourd’hui de partager avec vous quelques éléments un sujet qui m’intéresse et sur lequel je travaille depuis plusieurs années. Je suis spécialement heureuse de pouvoir le faire pour Laudem, dans le cadre de votre journée d’études.
Je vous parle depuis la sacristie de l’église Saint Cornély de Carnac. St Cornély c’est le pape Corneille, patron de notre ville, connue pour ses menhirs, mais aussi pour son bel orgue historique, construit par Florentin Grimont, un disciple de Clicquot, en 1775, dont je suis titulaire depuis mai 2017. Je suis dans la sacristie parce que je viens de jouer pour des obsèques et que je n’ai pas le temps de rentrer chez moi, et aussi parce que dans la sacristie nous avons la fibre!
Mon nom est Claude Nadeau, je suis née à Montréal, plus précisément à Repentigny, dans le même hôpital que Céline Dion, de parents qui étaient des Gaspésiens de Montréal. Dans ma famille on a toujours été musicien liturgique, ça coule de source, on a pu remonter jusqu’à sept générations de musiciens d’église, on parle de mon ancêtre Benjamin LeBlanc dans les relations des Jésuites, en disant qu’il animait les messes à Port Royal. Les souvenirs d’enfance de ma mère c’est de voir mon grand-père, Diogène, se mettre à l’harmonium avec son Paroissien romain, et moi qui ai 47 ans, ça fait donc 48 ans que j’entends du chant grégorien, comme la chose la plus naturelle du monde.
J’ai gradué de l’Université McGill en 98, en musique ancienne, puis je suis venue en France quérir la gloire et la fortune, et n’ayant trouvé ni l’une ni l’autre j’ai quand même fait deux ou trois choses depuis. J’ai publié en 2020 l’enregistrement des plus belles pages des Manuscrits des Augustines de Vitré, qui lève le voile sur des pièces jouées par des femmes organistes à l’époque baroque, ici en Bretagne, un disque assorti d’un livre de 194 pages, rédigé avec l’aide de Pierre-Michel Bédard, organiste et chercheur, qui a travaillé sur ces manuscrits depuis une trentaine d’années.
Je termine actuellement une maîtrise en théologie à l’Institut Supérieur de Liturgie de l’Université Catholique de Paris, mes travaux portent notamment sur le plain-chant alterné, et interrogent la voix de l’orgue.
Je me suis souvnt posé une question toute simple : qu’est-ce qui me serait arrivé si j’étais née à l’époque de la musique que je joue? La même, toute pareille, la même personnalité, le même corps de femme, à l’époque de Bach, Couperin ou Grigny. Est-ce que j’aurais pu jouer de l’orgue? Et est-ce que, le faisant, j’aurais pu porter la prière de l’Assemblée dans une paroisse?
Avant de répondre simplement “non”, avant de se dire que l’Eglise n’autorisait pas les femmes à tenir un rôle dans la liturgie, peut-être qu’on peut essayer, avec toute la rigueur que suppose un travail scientifique, de comprendre pourquoi les choses ne sont pas aussi simples.
Des femmes organistes il y en avait. Les deux premières femmes de l’époque baroque auxquelles vous pensez présentement sont peut-être, en France, Elisabeth Jacquet de la Guerre, et en Italie, Isabelle Leonarda. Deux immenses compositrices, qui gagneraient à être davantage connues, davantage jouées. Mais si elles ont écrit pour clavier, elles n’ont jamais véritablement écrit pour orgue, au sens où pourra le faire Bach ou Couperin… En revanche elles sont emblématiques des deux types de femmes organistes que l’on pourra rencontrer à l’époque baroque, dont je vous parlerai aujourd’hui : l’une est apparentée à une famille de musiciens, son père est facteur de clavecins ; l’autre est religieuse.
Vous pensez peut-être aussi à Sainte Cécile, on parlera d’elle aussi.
En préparant cette conférence, je me suis rendu compte que les questions que ce sujet pose sont des questions très actuelles. Il y a d’abord la question de l’accès à l’éducation, qui est aujourd’hui encore un sujet crucial, tout comme le sujet des mutilations sexuelles – il y a un lien avec la musique, vous allez voir. Il y a également la question du mélange entre le profane et le sacré, qui elle aussi est toute proche de nous, et spécialement nous les organistes. Et plus largement il y a la question de la ministérialité de la musique liturgique, et de l’accès aux ministères pour les baptisés de tous les sexes.
En la matière, je dois vous dire aujourd’hui que mon coeur bat à l’unisson de celui des mères et des pères synodaux actuellement réunis à Rome, qui réfléchissent, entre autres, à la place des femmes dans l’Eglise, et à l’accès de toutes les personnes aux ministères.
En travaillant sur les Manuscrits des Augustines de Vitré, je me suis rendu compte que même si on est parfois dans l’idée que l’Eglise a, globalement au cours de l’histoire, été un vecteur d’oppression pour les femmes, la réalité est plus nuancée, et il est important de se rendre compte que les congrégations religieuses féminines ont pu être au contraire, pour certaines, des espaces de liberté, d’éducation, d’autonomie, de musique, voire même… d’émancipation.
(pages 1-2/12)
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