Claude Nadeau
Le présent texte est la retranscription d’un exposé que j’ai fait dans le cadre du cours « Les sacrements de l’initiation chrétienne » de l’Institut Supérieur de Liturgie en décembre 2023. Mon but était d’interroger la place de la musique dans ces différents sacrements.
Je commencerai comme il se doit par quelques praenotanda (sourire), ensuite nous allons ouvrir les rituels eux-mêmes. Nous allons y chercher des indications musicales, qu’elles soient évidentes ou qu’elles soient induites. Nous allons ensuite réfléchir aux défis d’ecclésiologie que posent les sacrements de l’initiation chrétienne, et comment la musique peut contribuer à relever ces défis. Nous allons également parler de la résonance de ces célébrations avec le temps liturgique et le répertoire qui y est associé, et nous allons enfin aborder l’aspect choréosophique avec la notion de mouvement et de déplacement dans ces sacrements.
Je commence donc par des praenotanda, en fait des réflexions basées sur mon expérience personnelle de musicienne liturgique : depuis 35 ans j’ai joué dans énormément de situations, des grandes églises, des petites églises, des orgues, pas d’orgue, des mauvais orgues, des communautés qui chantent, qui ne chantent pas… Du rit extraordinaire, du Paul VI, du paroissial, du monastique, du classique, de la variété, du charismatique, et j’ai aussi fait l’expérience d’accompagner des célébrations dans des temples protestants et même des synagogues.
J’ai la profonde conviction que dans la liturgie catholique, la musique n’est pas un agrément. La musique n’est pas quelque chose qu’on fera si il reste du temps, si on a les moyens, la musique n’est pas un interlude, elle n’est pas une pause musicale, et elle n’est surtout pas un fond musical : la musique, c’est la liturgie, qui à ce moment-là prend la forme musicale.
C’est Jean-Yves Hameline qui parlait d’une “conaturalité entre les actions rituelles et la musique, dont le propre est d’être réglée et distribuée en actions productives” (La Maison-Dieu, n° 187)
J’ai aussi la conviction que tout être humain est capable de musique : toutes les mamans du monde chantent des comptines ou des berceuses à leurs enfants – et aucun enfant ne va se plaindre à la protection de la jeunesse que sa mère chante faux, c’est même pour lui la plus belle de toutes les musiques. Tout être humain étant capable de musique, la musique liturgique n’est donc pas l’affaire des seuls musiciens professionnels, même si ils sont et elles sont évidemment essentielles, ce n’est certainement pas moi qui dirais le contraire.
La musique fait appel à l’instinct et non à l’intellect, même si elle peut s’adresser un à l’un comme à l’autre, et la musique s’inscrit profondément dans la mémoire, comme le soulignait Soeur Karol. Si cette question vous intéresse, je vous invite à lire Philippe Robert dans Chant, répertoire, mémoire (LMD 251), ou encore Le chant, acte liturgique (LMD 312).
La musique fait une impression différente des choses dites, parlées ou récitées : on reçoit un message différemment quand on le reçoit par la musique. La musique dans la liturgie est donc une façon de passer “du livre au corps”, pour reprendre les mots de Louis-Marie Chauvet dans sa thèse Symbole et sacrement, elle est une façon d’incorporer les choses, de les mettre dans notre corps, de les mettre dans nos sens, mais aussi de les mettre en mouvement, je vous en reparlerai tout à l’heure.
Et puis, la musique, on peut aussi en dire ce que Louis Bouyer dit de l’esprit, dans sa somme Initiation chrétienne : « L’esprit, en effet, n’est pas une simple part de nous-mêmes, un à côté de notre corps. Il est cette totalité, cette unité supérieure » (Louis Bouyer, Initiation chrétienne, 1958 rééd. Paris, Cerf, 2012, p. 23)
Remplacez le mot esprit par le mot musique, c’est tout aussi juste. La musique n’est pas quelque chose à côté de notre corps, et n’est pas quelque chose à côté de la liturgie. Ce n’est pas : nous avons fait le rite, et maintenant nous allons faire un joli chant, et ensuite nous allons continuer la célébration du baptême. La musique c’est la liturgie qui à ce moment là prend la forme musicale au sein d’un tout cohérent, cette musique qui peut être chantée, mais qui peut aussi être instrumentale.
Vous le savez, « On estimera hautement, dans l’Église latine, l’orgue à tuyaux comme l’instrument traditionnel dont le son peut ajouter un éclat admirable aux cérémonies de l’Église et élever puissamment les âmes vers Dieu et le ciel. » (SC 120) Mais pourquoi l’orgue en fait? Peut-être parce que l’orgue c’est un véritable orchestre : par la diversité de ses timbres, du plus doux au plus fort, du plus sobre au plus brillant, il peut nous aider à comprendre ce qui se passe, et c’est d’ailleurs ce que nous demande Musicam Sacram :
« Il est tout à fait souhaitable que les organistes et autres instrumentistes ne soient pas seulement experts dans le jeu de l’instrument qui leur est confié ; mais ils doivent connaître et pénétrer intimement l’esprit de la liturgie pour qu’en exerçant leur fonction, même dans l’improvisation, ils enrichissent la célébration selon la vraie nature de chacun de ses éléments, et favorisent la participation des fidèles. » (MS 67)
Donc à quoi sert un orgue? à donner des informations sonores pour augmenter l’intelligence des rites. De plus, par sa présence monumentale dans l’église-bâtiment, par la polyphonie de ses timbres différents entre eux et harmonieusement conjugués, il représente l’Eglise-peuple, dans la diversité de ses voix. La voix de l’orgue est peut-être au fond un abrégé de la voix de l’assemblée… (oui, c’est mon sujet de mémoire!)
C’est d’ailleurs un des rôles séculaires de cet instrument, comme le rappelait François Marchel dans son article « La participation de l’organiste à la liturgie » (LMD 198):
“ Dans la pratique ancienne de l’alternance, ou alternatim [note : pratique liturgique qui consiste à faire dialoguer la schola avec l’orgue, dont la voix propre “chante” instrumentalement un verset sur deux] , c’est à l’orgue qu’il revenait de lancer l’hymne, d’engager le dialogue avec le chœur. De la sorte, il instroduisait de lui-même l’action liée à l’acte de chant, se chargeant – tel un véritable maître de cérémonie – d’une fonction quasi diaconale. Il indiquait par son jeu – et notamment par l’imposition du tempo – l’ambiance de la fête et sa nature »
L’orgue nous permet par ailleurs d’habiter l’espace, et pas plus tard que ce week-end j’accompagnais un baptême. Eh oui, dans ma paroisse, il y a régulièrement de l’orgue pour les baptêmes, quelle joie. C’est souvent le “service après-vente” des mariages : ayant joué pour le mariage, on me demande de jouer pour le baptême, beau symbole d’ailleurs. C’est intéressant et c’est un défi, puisque souvent les personnes perçoivent plus facilement le lien entre le sacrement du mariage et le sacrement du baptême qu’entre les trois sacrements de l’initiation chrétienne…
Donc j’ai joué pour un baptême samedi et les parents m’ont dit ah c’était bien avec l’orgue, on a l’impression qu’on est nombreux dans l’église! Et puis quand on entre dans l’église et qu’on entend l’orgue, ça fait église. Quelle belle phrase! Faire Eglise…
Faire Eglise ensemble, c’est ce défi d’ecclésiologie dont je vous parlais tout à l’heure. Ca fait Eglise aussi parce que le rituel du baptême inclut le rite du seuil, ce rite qui finalement est présent dans toutes les célébrations des sacrements, ce rite où on entre dans l’église. Samedi, le premier chant, Dieu nous attend, c’était sans orgue dans le narthex ; et puis lorsque l’on marche pour entrer dans l’église, l’orgue fait entendre sa voix et habite l’espace : il manifeste, par sa présence, par l’occupation sonore de ce bâtiment, par le fait que ce soit un baptisé membre de cette communauté, mais non affilié à la famille du nouveau baptisé, que c’est la communauté tout entière qui est concernée par ce sacrement.
Le Rituel du baptême mentionne d’ailleurs dans ses praenotanda, au n° 7, sous le titre Fonctions et ministères :
“Il faut en outre que, dans la célébration du baptême, le peuple de Dieu, représenté non seulement par les parrains, les parents et les proches, mais encore, autant qu’il est possible, par des amis, des familiers, des voisins et quelques membres au moins de l’Eglise locale, joue un rôle actif. Ainsi se manifestera la foi de la communauté et s’exprimera la joie commune avec laquelle les nouveaux baptisés sont reçus dans l’Eglise.”
Le document de travail de la Conférence des évêques de Belgique sur les sacrements de l’initiation Orientations pour un renouveau missionnaire lie cela au chant, et explicitement à l’orgue :
« par l’intégration de chants et de musique (et, par exemple, la présence d’un organiste), la liturgie manifeste qu’il s’agit d’une fête de la communauté. »
La musique instrumentale proclame donc des choses, et pas seulement par sa force symbolique ou sa vocalité. Quand par exemple je joue pour la procession d’entrée d’une cérémonie d’obsèques le choral de la résurrection de Jean-Sébastien Bach (Christ lag in Todesbanden, BWV 625), jouer – ou écouter – cette pièce en entrant dans l’église, c’est proclamer quelque chose quant à l’espérance chrétienne, c’est affirmer par la musique que nous ne sommes pas ici parce que Michel est mort, nous sommes ici parce que le Christ est ressuscité. Après vous me direz, pour comprendre cela, il faut les codes, mais là encore c’est un rite du seuil : là aussi il faut rentrer dedans, comme on rentre dans l’église.
Si vous avez envie d’approfondir ce beau sujet, je vous suggère les ouvrages de Michel Steinmetz, La fonction ministérielle de la musique sacrée et La musique, un sacrement?
Ouvrons donc les rituels et cherchons les indications musicales !
J’ai épluché :
- Le rituel du baptême des petits enfants, édition francophone
- Le rituel de la confirmation, édition française et édition francophone des évêques du Canada
- Le RICA
- Le missel romain
- Et les éditions typiques
Je n’ai pas travaillé sur le rituel du baptême des enfants d’âge scolaire.
J’ai aussi consulté “Les sacrements de l’initiation chrétienne pour les enfants et les jeunes aujourd’hui : Orientations pour un renouveau missionnaire”, un document de travail de la Conférence des évêques de Belgique (2014)
Et le numéro de Fêtes et Saisons intitulé “Le baptême de notre enfant” consacré à la préparation du baptême (Ed. du Cerf, 2015).
J’ai naïvement cherché le Rituel de la première communion, avant de me rendre compte, bon sang mais c’est bien sûr, qu’il n’y en a pas, puisque la première communion, ce n’est “que” la première participation plénière à l’eucharistie.
J’ai d’abord pensé que le Rituel du baptême des petits enfants était le plus prolixe en musique, puisqu’il y a plein de jolies partitions (quarante-neuf en tout, malgré quelques doublons), mais en fait d’autres rituels, et notamment le RICA, comportent de nombreuses indications musicales. J’ai eu l’impression que le Rituel de la confirmation était le plus pauvre en musique, mais je me suis ravisée ; et surtout, il comporte une indication extrêmement précieuse quant à l’orgue. Regardons tout cela de plus près.
Dans tous ces rituels, je remarque qu’à chaque fois qu’il y a un déplacement physique dans l’église, il se fait en musique. Le document de travail de la conférence des évêques de Belgique, écrit en effet :
« La liturgie du baptême est conçue comme un pèlerinage dans l’église. L’accueil peut se faire à l’entrée de l’église ; puis, on écoute la Parole de Dieu ; ensuite, on se rend en procession aux fonts baptismaux ; enfin, on rejoint l’autel pour prier ensemble le Notre Père. Ces déplacements sont des actes symboliques : en nous faisant progresser du portail jusqu’à l’autel de l’eucharistie, ils expriment rituellement le chemin que les enfants auront à parcourir pour devenir chrétiens »
Chante et marche, écrit François Cassingéna ! d’ailleurs autrefois marcher ça se faisait en chantant, il y a énormément de chants de marche dans la musique traditionnelle. Mais qu’est-ce qu’on chante quand on rentre dans l’église? Que disent les rituels?
Le Rituel du baptême mentionne le chant dès ses praenotanda, reprises mot à mot dans le RICA :
N° 33 “le chant peut enrichir grandement la célébration du baptême : il suscite l’unanimité de l’assemblée, favorise la prière commune et enfin exprime la joie pascale que le rite doit manifester. Aussi les Conférences épiscopales s’efforceront-elles d’inciter et d’encourager des musiciens compétents à mettre en musique les textes liturgiques destinés au chant des fidèles”
Oui mais quels textes liturgiques? En fait des textes scripturaux, et surtout des psaumes.
L’édition francophone du Rituel du baptême des petits enfants suggère de commencer en musique (n° 68) “on peut commencer par un chant”. Puis, pour l’entrée dans l’église (n° 76), le rituel propose le psaume 99 : “allez vers le Seigneur avec des chants de joie”. L’édition typique, elle, donne, un autre psaume, mais quand même un psaume, le psaume 84 : “N’est-ce pas toi qui reviendras nous faire vivre et qui seras la joie de ton peuple ?”
C’est très intéressant dans les deux cas cette joie exprimée dès le début, et au passage c’est extrêmement différent du rituel de 1614 qui commençait le baptême avec une tonalité franchement pénitentielle, et même avec l’étole violette.
En feuiletant les rituels, on se rend compte qu’à chaque fois qu’il y a un déplacement, on nous propose de chanter un psaume, ou sinon un cantique évangélique :
N° 89 “on se rend alors en procession au baptistère, au chant du Psaume 22, ou de la litanie des saints, ou d’un cantique approprié”
N° 104 et n°143 “on se rend en procession vers l’autel en chantant le Magnificat ou un cantique baptismal”
N° 129 “on se rend alors en procession au baptistère au chant du Psaume 22 (ou de la litanie des saints) ou d’un cantique approprié”
D’autres chants sont également mentionnés dans le rituel, sans être associés à des déplacements :
N° 138 [la conclusion du Credo] “ On peut aussi remplacer cette formule ou une autre par un chant, par exemple “Un seul Seigneur, une seule foi” (on reconnaît l’épître aux Ephésiens)
N° 141 “à la remise du vêtement blanc on peut chanter l’acclamation “Vous tous qui avez été baptisés dans le Christ, vous avez revêtu le Christ” (épître aux Galates)
N° 142 [remise du cierge] “on peut chanter Ma lumière et mon salut c’est le Seigneur”
(psaume 26)
Et en conclusion le rituel propose, “Dans les lieux où c’est la tradition, chant du Magnificat ou autre chant marial”.
Les chants proposés par le rituel sont donc vraiment des chants directement issus des Ecritures, et même si les rubriques mentionnent “ou un cantique approprié”, c’est toujours la Parole de Dieu qui constitue le premier choix. Ce n’est pas neutre, car chanter les Ecritures, c’est participer à la sacramentalité de la Parole de Dieu, c’est d’ailleurs ce à quoi nous exhorte Benoît XVI dans Verbum Domini :
“En considérant l’Église comme « la demeure de la Parole », on doit avant tout prêter attention à la sainte Liturgie. C’est vraiment le lieu privilégié où Dieu nous parle dans notre vie actuelle, où il parle aujourd’hui à son peuple qui écoute et qui répond. Chaque action liturgique est par nature nourrie par les Saintes Écritures” (VD 52)
Dans le Rituel du baptême, comme dans tous les autres rituels, on se rend compte que les psaumes constituent un fil rouge : le chant de base, le chant matriciel, c’est le psaume.
L’édition typique du Rituel du baptême des petits enfants propose, en annexe, une liste d’acclamations, d’hymnes et de tropaires. Douze acclamations sont proposées, ou plutôt douze références scripturaires autour desquelles choisir des chants. Dans ces douze propositions il y a un Psaume (Ps 33), une référence à l’Ancien Testament (Ex 15), et dix références aux épitres. Il est intéressant de noter que ces références scripturaires parlent du Père, parlent du Fils, mais ne font aucunement référence à l’Esprit Saint. On nous propose également deux hymnes du Nouveau Testament, l’une extraite de l’épitre de Pierre, l’autre de l’épître à Timothée. On nous propose enfin quatre tropaires, deux qui s’adressent au Christ, un au Père, et un qui est trinitaire.
Dans le Rituel du baptême, ce qui me frappe donc surtout, et ce sera vrai également de tous les autres rituels, c’est que ce qui nous est demandé c’est de chanter la Parole de Dieu elle-même – j’exclus bien sûr les répons et le chant des litanies – et non chanter l’expression d’un sentiment ou d’une émotion. C’est sortir du je pour aller vers le nous, sortir de l’individualité pour embrasser une dimention collective qui nous relie aux croyants de tous les siècles qui ont eu cette Parole en partage. Dans tous les rituels, je n’ai trouvé comme propositions de chant que, et uniquement que des textes de la parole de Dieu.
Sacrosanctum Concilium parle de “ l’union intime du rite et de la parole dans la liturgie” (SC 35), et pas seulement dans la seule liturgie de la parole :
« dans la célébration de la liturgie, la Sainte Écriture est de la plus grande importance. C’est d’elle que sont tirés les textes qui sont lus et qui sont expliqués dans l’homélie, ainsi que les psaumes qui sont chantés, et c’est sous son inspiration et sous son impulsion que les prières, les oraisons et les hymnes liturgiques ont pris naissance et c’est d’elle que les actions et les symboles reçoivent leur signification » (SC 24)
La Parole de Dieu n’est donc pas enclose dans la seule liturgie de la parole : elle s’infiltre partout, et notamment, nous le voyons dans les différents rituels de l’initiation chrétienne, dans de nombreux moments de la célébration, par la musique.
Ce constat m’a posé question : quand est-ce que, lorsqu’on prépare la célébration des sacrements, on remet la Parole de Dieu au centre, pas seulement dans la liturgie de la parole mais aussi dans la musique? Cela m’a amenée à réfléchir, et cela donne envie de prendre le temps d’ouvrir les rituels : quand est-ce que nous, musiciens liturgiques, acteurs paroissiaux, nous utilisons réellement les rituels? Souvent nous travaillons avec des livres de 2e voire de 3e génération… quand ce n’est pas avec des revues comme Fêtes et saisons…
Justement, le numéro de Fêtes et Saisons concernant le baptême des enfants donne une toute autre musique : aucun psaume n’est proposé pour l’entrée dans l’église, ni en fait pour aucun moment de la célébration (sauf le psaume de la liturgie de la parole). Pas de cantique évangélique, et force est de reconnaître que si les rituels donnaient une liste de références scripturaires, dans Fêtes et saisons aucun chant n’est explicitement tiré des Ecritures (Gloire à Dieu qui nous aime et nous attend, Dieu nous accueille en sa maison, Peuple de Dieu marche joyeux, N’ayons pas peur de vivre au monde…). C’est toujours l’option « ou un cantique approprié » qui est proposée, jamais un chant tiré des Ecritures.
Un encart coloré posé carrément la question : « Et si personne ne chante ? » C’est une interrogation légitime. Mais la réponse donnée ici à cette question interroge, et j’avoue que je suis chagrinée de lire ce qui suit dans une publication :
« C’est une difficulté que l’on rencontre souvent. (…) On pourra de toute façon prévoir des refrains parlés, lors de la litanie des saints, ou au refrain de la prière de bénédiction de l’eau. (…) Une musique enregistrée, adaptée à une célébration, pourra aussi apporter un air de fête »
Une musique enregistrée ? Est-ce à dire que la musique ne serait qu’un décor, et non l’expression vivante, dans l’ici et maintenant, des personnes qui vivent ce moment et s’y unissent, y compris dans les formes instrumentales ? Comment peut-on concilier l’idée même de musique enregistrée avec Hameline, cité plus haut, ou avec n’importe quel penseur de la liturgie ? Soyons clairs, pour moi la musique enregistrée n’a jamais, jamais jamais, sa place en liturgie. Mieux vaut encore le silence. Si on n’a vraiment pas pu, su, ou voulu trouver des musiciens, si personne de la paroisse, de la famille, des amis, des accompagnants, si le célébrant même, si personne mais vraiment personne ne peut chanter, si aucun musicien ne peut se déplacer, alors il nous reste les psaumes : lorsqu’on les lit, et qu’on se répond, c’est déjà de la musique.
Dans Fêtes et saisons, on lit plus loin sur la même page :
« Parfois, une ou deux personnes de l’équipe de préparation au baptême pourront apporter leur aide. Une assemblée qui éprouve des difficultés à chanter peut cependant reprendre un refrain après un soliste »
Je trouve dommage que, contrairement au document de la conférence des évêques de Belgique, à aucun moment Fêtes et saisons n’évoque la possibilité de faire appel à un chantre ou à un musicien au service de la communauté. J’ai pu faire la même observation dans leur publication relative aux obsèques, et j’ai pu hélas constater au quotidien à quel point ces publications nuisent au travail des musiciens liturgiques. Heureusement les pages du site internet du SNPLS sont plus nuancées sur la question, et espérons que d’autres publications dans l’avenir tiendront compte de l’importance de ce point.
Concernant le baptême, j’ai trouvé également énormément d’indications musicales dans le Missel romain, et notamment dans la célébration de la Veillée pascale, riche en rubriques souvent très détaillées musicalement où on lit par exemple :
N° 39 “les litanies seront chantées par deux chantres, tous se tiennent debout et répondent aux invocations”
Ou encore
N° 48 “la bénédiction de l’eau baptismale achevée, et le peuple ayant chanté l’acclamation, le prêtre interroge les adultes…”
N° 52 : “pour la procession retour, on chantera le cantique baptismal Vidi aquam… “
(qui est certes un cantique, mais quand même quasi directement issu des Ecritures – on pense évidemment à Jean 7)
C’est précis et détaillé. Mais là encore, avouons-le : quand les acteurs liturgiques paroissiaux vont-ils consulter le missel? Je ne connais personne, dans les musiciens liturgiques qui m’entourent, qui ait le missel romain à la maison ou en tribune. Il est trop cher et il est trop lourd. Donc on ne va pas le consulter. C’est dommage parce que les rubriques recèlent d’indications musicales qui peuvent nous indiquer comment chanter, comment accompagner, et comment porter ces célébrations.
Le RICA reprend largement les indications du rituel du baptême, et présente en outre d’autres moments de l’initiation chrétienne : l’entrée en catéchuménat, les scrutins…
On retrouve évidemment plusieurs points communs avec le baptême des petits enfants, et, sans surprise, la place prédominante des psaumes. Par exemple, la salutation lors du Rite d’entrée dans l’église au moment de l’entrée en catéchuménat :
N° 79 “Le célébrant invite les candidats et ceux qui les présentent à s’avancer. Pendant qu’ils approchent et se placent devant lui, on chante, par exemple, le Ps 62 [Dieu tu es mon Dieu je te cherche dès l’aube] ou un chant approprié”
N° 95 [le célébrant:] “vous êtes maintenant catéchumènes, entrez, pour écouter la parole de Dieu – Par un geste, il les invite à entrer. Pendant ce temps on chante l’antienne Venez mes fils, écoutez-moi, que je vous enseigne la crainte du Seigneur, avec le Psaume 33 [je bénirai le Seigneur en tout temps] ou un chant approprié “
Il est intéressant de noter que pour le même moment, le Rituel simplifié pour circonstances exceptionnelles propose plutôt le Psaume 99 (le même que pour le baptême des petits enfants).
N° 101 – Renvoi des catéchumènes
“Quand on ne célèbre pas l’eucharistie, on peut ajouter un chant et conclure la célébration de manière habituelle.”
cette rubrique revient à chaque étape lors du renvoi des catéchumènes
N° 141 Interrogation, réponse des candidats et inscription des noms
“Pendant l’inscription des noms, on peut chanter le Psaume 15”
[Garde moi mon Dieu, j’ai fait de toi mon refuge]
N° 142 “Quand l’inscription des noms est achevée, le célébrant se tourne vers les candidats, et leur dit par exemple “N et N vous êtes appelés. Vous serez initiés par les sacrements de la foi pendant la prochine veillée pascale.”
Les catéchumènes: “Nous rendons grâce à Dieu” (ou une acclamation chantée)”
Notons ici la participation musicale des personnes qui reçoivent les sacrements, c’est un point très intéressant qui manifeste, par la musique, l’initiation au groupe humain que constitue le Peuple de Dieu. C’est un point qui me semble peu développé dans les différents rituels de l’initiation, et qui gagnerait à l’être, j’y reviendrai tout à l’heure.
Encore des psaumes à la fin du premier, du deuxième et du troisième scrutin, après l’imposition des mains sur les catéchumènes :
N° 158 “Si cela convient, on chante l’un des psaumes 6, 25, 31, 37, 38, 39, 50, 114, 129, 138, 141, ou un chant adapté.”
Même les derniers rites préparatoires se font en musique :
N° 190 Reddition du symbole de la foi : “on commence par un chant adapté”
N° 195 et 198 Rite de l’effétah et choix d’un nom chrétien : “après un chant adapté…”
J’ai trouvé dans la troisième partie, Célébration des sacrements, l’indication musicale la plus explicite, la plus insistante, et peut-être la plus involontairement comique :
N° 214 “Avant le chant des litanies [c’est bien précisé chant], les futurs baptisés, avec leurs parrains et marraines, sont invités à s’approcher des fonds baptismaux ; ils se placent autour, de façon pourtant que les fidèles puissent voir. Si leur nombre ou les lieux l’exigent, ils avancent en procession au chant [est-ce qu’on vous a bien dit que c’était un chant?] des litanies.
N° 215 “ensuite [au cas où vous auriez encore un doute] on chante les litanies”
Est-ce qu’il y a encore des gens dans la salle qui n’auraient pas compris qu’il faut chanter? (rire)
Le RICA poursuit en parlant du baptême lui-même :
N° 223 “Pendant l’accomplissement de ce rite, il est souhaitable que le peuple chante”
Puis de l’onction du Saint chrême :
N° 232 “Pendant l’onction on peut chanter un chant approprié”
Même le Rituel simplifié pour des circonstances exeptionnelles comporte des indications musicales :
Rite d’accueil n° 271 “Il invite ensuite le candidat et son parrain (sa marraine) à s’avancer. Pendant qu’ils approchent et se placent devant le célébrant, on chante, si possible, par exemple le Psaume 62 ou un chant approprié”
Puis le n° 276 propose le Psaume 99 pour l’entrée dans l’église. La célébration se poursuit :
N° 292 “Entre la célébration du baptême et celle de la confirmation, si cela convient, l’assemblée chante un chant approprié”
N° 296 “Pendant l’onction [de confirmation] on peut chanter un chant approprié”
La Troisième partie du RICA propose les textes, les antiennes et les oraisons pour les différentes étapes et scrutins. Faute de chant qui accompagne tel ou tel rite, on pourrait être tenté de ne plus y déceler d’indications musicales. Or les antiennes, ce sont des indications musicales : l’antienne d’ouverture donne des clés précieuses pour le choix du chant d’entrée (n’est-ce pas cette antienne même qui est chantée en introït?), comme l’antienne de communion pour le chant de communion (n’est-ce pas là aussi cette antienne qui est chantée textuellement quand on chante en grégorien?)
Ce répertoire existe, y compris en français. Mais quand, dans nos paroisses, choisissons-nous un chant d’entrée en fonction de l’antienne d’ouverture?…
Voici les antiennes d’ouverture et de communion proposées par le RICA :
- Appel décisif : Ps 104, 3-4 ; Ep 1, 7
- 1er scrutin : Ez 36, 23-26; Jn 4, 13-14
- 2e scrutin : Ez 36, 23-26; Jn 9, 11
- 3e scrutin : Ez 36 23-26 ; Jn 11, 26
Comme pour le Rituel du baptême des petits enfants, l’édition francophone du RICA propose en annexe une section Acclamations, hymnes et tropaires, qui est la copie exacte de l’édition typique. On y retrouve douze acclamations : un psaume (33), un cantique de l’Ancien Testament (Ex 15), un extrait de l’Apocalypse (Ap 22), et neuf tirées des épîtres. S’y trouvent également les mêmes hymnes néotestamentaires que dans le Rituel du baptême, et sept tropaires : quatre concernent le Christ, un le Père, un l’Esprit, et le dernier est trinitaire.
Contrairement au rituel du baptême et au RICA, l’édition typique du Rituel de la confirmation ne comporte pas d’annexe chants, pas plus que l’édition française. Mais l’édition francophone de la Conférence des évêques du Canada, bien plus volumineuse que l’édition Chalet-Tardy (184 pages contre 79) puisqu’elle présente dans un seul volume les formulaires des messes votives, préfaces, prières eucharistiques pour la confirmation, comporte une annexe “chants”, et de nombreuses partitions sont intercalées dans le déroulement de la messe.
Tout comme dans le Rituel du baptême et le RICA, les Orientations doctrinales et pastorales insistent sur l’aspect ecclésial du sacrement :
N° 23 “Le peuple de Dieu tout entier, représenté par les familles et les amis des confirmands ainsi que par des membres de la communauté locale, sera invité à participer activement à cette célébration, et il s’efforcera de manifester sa foi par les fruits que le Saint-Esprit a produits en lui.”
Et mentionne le rôle de la musique dans la section Préparer la célébration :
N° 31 “La célébration (…) doit en effet, par son rythme alerte, sa structure nette, ses chants bien choisis, porter toute l’assemblée à la joie et à la prière.”
Elle est mentionnée à nouveau au moment de l’entrée en célébration :
N° 1 “Tout doit contribuer à créer un climat de fête : aménagement des lieux, service d’accueil, musique, chants”
N° 4 “S’il y a procession d’entrée, il est bon que les confirmands en fassent partie. Le récipient de l’huile parfumée ou du saint chrême peut être apportée dans cette procession”
N° 5 “Le chant d’entrée peut être placé au début de la célébration ou mieux après l’accueil et la présentation mutuelle”
Notons ici que si le chant d’entrée est, “mieux”, placé après l’accueil : cela veut dire que la procession d’entrée s’est probablement déroulée au son de la musique instrumentale… Cela est confirmé par les rubriques suivantes, communes à la 1re forme et la 2e forme :
N° 11 [après la salutation et la présentation de l’évêque puis l’accueil de l’animateur] “l’évêque reprend éventuellement l’essentiel de ce qui a été exprimé, et invite soit au chant d’ouverture, soit à la préparation pénitentielle, soit directement à la prière.”
Concernant le chant d’entrée de la messe, ici aussi il est intéressant de noter les antiennes proposées, de même que les antiennes de communion :
A : ouverture Ez 36, 25-26 ; communion He 6,4
B : Rm 5, 5-8 ; Ps 33
On note également une présence musicale dans le coeur même de l’expression de la foi :
“Profession de foi, 1re forme et 2e forme
L’expression [de la foi] de l’assemblée peut revêtir plusieurs formes :
Ou bien l’évêque dit:
- Croyez-vous en Dieu, Père, Fils et Esprit Saint?
- R/ Nous croyons ou Amen
Ou bien l’évêque (ou un chantre) dit ou chante
- Appelés à former un seul Corps dans un seul Esprit, nous chantons et proclamons:
- R/ un Seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu et Père
Note en pied de page : fiche I 46, ou tout autre chant équivalent
Je remarque ici que la voix du chantre peut remplacer la voix de l’évêque dans ce dialogue. Il est à noter que l’édition typique, bien plus avare de rubriques, ne propose pas cette possibilité. La 3e forme ne fait pas appel au chant; les 4e et 5e forme se terminent ainsi :
L’évêque conclut :
Votre foi c’est notre foi ; c’est la foi de l’Eglise. Aussi pouvons-nous chanter tous ensemble, unis par le même Esprit:
R/ un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême, un seul Dieu et Père
(même note en bas de page : fiche, ou autre chant équivalent)
Il est intéressant de noter que pas moins de six formes différentes sont proposées pour la profession de foi, ce qui indique l’importance de ce rite.
Les rites suivants sont eux aussi accompagnés et portés par la musique. L’imposition des mains renvoie à deux notes en pied de page :
Note 1 : Les temps de silence sont à doser en fonction de chaque contexte particulier : climat de recueillement, préparation et capacité d’accueil de l’assemblée, acoustique de l’église et qualité de la sonorisation
Note 2 : Il est bon que la réponse à cette prière solennelle soit suffisamment développée soit par un mode de répétition de l’Amen, soit par addition de l’Alleluia, soit par le chant d’un bref refrain approprié
Les rubriques concernant la chrismation font mention explicite de l’orgue :
N° 50 “L’assemblée peut participer en silence au rite de la chrismation. Sa prière peut être soutenue par l’orgue ou d’autres instruments. On peut aussi chanter un chant approprié. “ Renvoi à la Note 2 en bas de page : En certains lieux, on chante alors la litanie des saints patrons des confirmands
N° 51 “Ensuite l’assemblée peut être invitée à garder un certain temps de silence, soutenu éventuellement par une musique discrète ou par de brèves citations de la Parole de Dieu.”
Ces deux rubriques sont infiniment précieuses ! On observe à deux reprises le verbe d’action “soutenir”: l’orgue soutient la prière de l’assemblée (quoi de mieux qu’un instrument pneumatique pour parler de l’Esprit Saint?). En une phrase, c’est tout son rôle qui est ici résumé. Dans ces deux numéros on observe également le lien a priori paradoxal entre silence et musique instrumentale : la musique est-elle assimilable au silence? Est-ce que la définition du silence en liturgie est inclusive de la musique d’orgue idoine? D’ailleurs, qu’est-ce que le silence?…
…
…
…
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(temps de silence pour y réfléchir)
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…
L’édition typique est bien plus réservée en rubriques que l’édition française, et les numéros consacrés à ces rites (numéros 40 à 43) font seulement mention du silence, sans plus de détails :
N° 41 “Et omnes per aliquod temporis spatium in silentio orant”
Revenons à l’édition française où la suite de la célébration fait une large place aux chants de louange:
“Si l’eucharistie n’est pas célébrée et que la célébration se poursuit par la liturgie d’action de grâce et d’intercession, la 2e forme (prière litanique d’action de grâces) se termine par un chant de louange, introduit par les derniers mots de la prière de l’évêque “Avec lui [l’Esprit] nous voulons te dire merci et chanter tes louanges : R/ (un chant de louange)
De même, la 4e forme
“Avec tous les vivants de la terre et du ciel, chanter pour toi :
R/ (un chant de louange) “
Rien à voir avec la musique, mais je souris quand même quand je lis, au moment du renvoi :
N° 93 “L’animateur congédie l’assemblée et disant
Allez dans la paix du Christ R/ nous rendons grâce à Dieu”
L’animateur?…
Quelques mots enfin sur l’édition canadienne (1977), que vous trouverez en ligne. Dans un esprit pratique typiquement nord-américain, elle présente en un seul volume les formulaires des messes votives, préfaces, prières eucharistiques, et tout ce qui peut être utile pour la confirmation ; ce faisant, elle intercale des rubriques propres à la messe, dont quelques unes concernent la musique :
“Il est éminemment souhaitable que le Gloria soit non pas proclamé mais chanté”
Les prières eucharistiques sont truffées d’acclamations qui ont leurs partitions, et notamment la “Prière eucharistique I pour les messes d’enfants”, que j’avais presque oubliée tant on ne s’en sert pas souvent. En vrai, je n’ai jamais accompagné une seule messe où les prières eucharistiques pour assemblées d’enfants aient été utilisées. Et je me rends compte du défi musical considérable que cela représenterait, surtout en cas de dialogue chanté entre le célébrant et les enfants. J’avais par exemple oublié que le Sanctus est scindé en trois parties, dans un ordre différent de celui habituellement pratiqué (ce qui n’est pas une spécificité canadienne, au passage, c’est juste cette PE en question). Ce rituel explicite tout, partitions incluses :
- le dialogue de la préface, la préface, puis le sanctus, séparé en trois parties:
- “…tous ensemble nous chantons” : “Le ciel et la terre…”
- puis une dizaine de lignes, et “pleins de reconnaissance nous acclamons” – “Béni soit celui…”
- “Nous ne sommes pas seuls à te fêter… avec eux avec les anges nous t’acclamons en chantant :” “Saint Saint Saint…”
Je remarque enfin une nouvelle mention explicite de l’orgue au moment de la communion :
N° 143 : “Pendant la distribution de la communion, on peut jouer de l’orgue ou d’autres instruments, ou chanter un chant approprié” (noter l’ordre!)
L’évêque retourne à son siège. On peut rester en silence quelques instants. On peut clore ce temps de prière silencieuse par un cantique de louange.”
Il est intéressant de noter qu’en pratique, la confirmation, tout comme la première communion, auront lieu, la plupart du temps, au cours de la messe dominicale, qui sont des célébrations communautaires, contrairement au baptême qui, sauf quand il est célébré au cours de la veillée pascale ou de la messe, est parfois perçu ou vécu comme un événement “privé” – comme souvent le mariage d’ailleurs. De plus, les confirmations et premières communions s’inscrivent habituellement dans le temps liturgique : les confirmations à la Pentecôte, les premières communions à la fête du Corps et du Sang du Christ, ce qui facilite le choix du répertoire à la fois chanté et instrumental.
Deux fêtes qui d’ailleurs ont un point commun, la séquence. J’aime beaucoup les séquences! Vous le savez, quatre séquences ont été conservées par la réforme liturgique : deux obligatoires (Victimae paschali le jour de Pâques, Veni sancte spiritu pour la Pentecôte) et deux facultatives (Lauda Sion / Panis Angelicus pour la Fête Dieu, Stabat mater pour Notre-Dame des sept douleurs). D’autres séquences sont aussi encore en usage dans certaines circonstances (clin d’oeil à nos amis dominicains qui chantent une séquence à Saint Dominique lors de sa fête le 8 août!)
Ces séquences recèlent d’éléments mystagogiques qui peuvent être précieux. Je vous parlais tout à l’heure de la participation active et musicale des personnes qui reçoivent le sacrement comme marqueur d’initiation, un aspect selon moi à développer. Eh bien cette année, le jour de la pentecôte nous avons eu des confirmations dans ma paroisse, et je dois vous dire que j’ai été émue mais jusqu’aux larmes – une belle liturgie c’est une liturgie qui vous émeut disait François Cassingena – lorsque j’ai entendu les confirmands chanter la séquence de la pentecôte.
Ce sont précisément les jeunes qui allaient recevoir le sacrement de confirmation qui l’avaient préparée, et on les avait bien fait répéter. Quel beau texte et quel beau chemin : ces jeunes ont chanté pour invoquer l’Esprit saint qu’il s’apprêtaient eux-mêmes à recevoir et ont énuméré ses dons. Quel sens cela a eu pour toute l’assemblée, qui reprenait le refrain en invoquant “Viens Esprit Saint”! C’est probablement difficile à mettre en oeuvre pour des premières communions avec la séquence de la Fête Dieu, elle aussi très dense, écrite par Thomas d’Aquin, parce que les enfants sont plus jeunes, mais il y a sans doute à réfléchir à la participation musicale des personnes recevant les sacrements, avec la musique comme marqueur d’initiation et d’appartenace à la communauté.
Je voudrais conclure en effleurant ce que j’appelais tout à l’heure la dimention choréosophique. χορεία c’est le mouvement du choeur, la danse ensemble ; σοφία, la sagesse. La sagesse du mouvement!
Ce n’est pas un hasard si il y a tant d’indications musicales qui accompagnent les déplacements dans les rituels, et tant d’indications sur les déplacements eux-mêmes : quand on nous dit par exemple que les confirmands peuvent, si on le juge approprié, faire la procession d’entrée ; quand on nous dit que le Saint chrême peut être porté dans cette procession d’entrée – on précise même sur un joli plateau juste devant l’évêque… si on prend la peine de donner tant de détails, c’est peut-être parce que c’est important.
Chez les chrétiens orthodoxes, dont la cérémonie du baptême reprend celle décrite dans le Traité du Saint Esprit de Basile de Césarée, après une triple procession autour des fonds baptismaux, le rite de l’ecclésialisation de l’enfant inclut toute une chorégraphie qui passe devant les icônes, derrière l’autel (seulement pour les bébés garçons) et se termine à l’ambon.
Quand une douzaine de jeunes paroissiens de banlieue parisienne ont rencontré le pape au Vatican le 4 janvier 2024, ils sont entrés en chantant et en dansant. Et même si cette rencontre n’était pas à proprement parler une liturgie, le pape François a fait cette réponse à leur arrivée en fanfare :
“ Il nous a parlé de la Parole qui est créative, c’est-à-dire qu’elle reviendra vers nous de manière différente. Et quand la Parole est dite en chantant, elle est doublement créative et quand elle est dite en dansant, elle est triplement créative », rapporte Aackash, l’un des jeunes (interrogé par BFM).
Faire un déplacement porté par un chant, par la lecture d’un psaume, ou par la voix de l’orgue, ou bien faire un déplacement tout nu en disant bon ben voilà on y va… il y a un monde entre les deux. Lorsqu’ils sont portés par la prière sous forme de musique, qu’elle soit chantée ou instrumentale, ces déplacements prennent une autre dimension.
Non seulement parce que l’on crée ce continuum sonore dont parlait Joseph Gélineau, qui permet d’unifier les rites, et je rebondis sur ce que disait Soeur Karol : le chant nous unit à nous-mêmes, il unifie l’assemblée, et il unifie aussi le rituel. Mais également parce que la musique permet aux musiciens de matérialiser la présence attentive et aimante de la communauté chrétienne qui accueille les personnes qui reçoivent les sacrements de l’initiation.
Peut-être aussi, et surtout, parce que en soutenant la prière et en portant la marche de l’assemblée, la musique, à condition qu’elle se présente en héritière de la tradition de l’Eglise et à l’écoute de la Parole de Dieu, invite à rythmer son pas à la marche du Peuple de Dieu.
N’est-ce pas là d’ailleurs l’essence même des sacrements de l’initiation : se mettre en marche?
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